
Le laboratoire art et époque est piloté par La Compagnie Théâtre Inutile et Miguel Benasayag.
Séminaire – 2 Juin 2014
Intervention de Nicolas Saelens, metteur en scène de la Compagnie Théâtre Inutile :
Nicolas Saelens, pour ce dernier séminaire, clôture avec l’histoire du Théâtre d’André Degaine et nous livre sa compréhension de l’évolution de la mise en scène au théâtre.
L’évolution du théâtre et de la mise en scène :
Le Théâtre a près de 25 siècles d’existence. Si au départ, le théâtre dans l’antiquité grecque était une source de réflexions sur des thèmes civiques, il commence à devenir public au XVe siècle. On passe du cœur des églises, au parvis, puis à la rue. Les représentations ont vocation à faire vivre l’histoire sainte, en donnant au peuple les références bibliques.
Cette période est importante, car on passe des représentations miraculeuses à des représentations mystérieuses, où l’homme doit se situer par ces actions entre l’enfer et le paradis.
Au moment de la renaissance, on commence à percevoir une professionnalisation des comédiens. Ils commencent à vivre de leurs métiers, on commence à fermer les théâtres. Les spectateurs commencent à payer les représentations. Les comédiens deviennent des professionnels. La professionnalisation du théâtre, l’échange de pratiques théâtrales contre de l’argent, donne naissance au théâtre bourgeois au XIXe siècle. Le théâtre devient hermétique aux nouveaux courants artistiques : le naturalisme, l’impressionnisme, etc. il ne tient pas en considération l’évolution des autres arts.
– André Antoine (1858-1943)
Il amène un esprit de recherche dans le théâtre, notamment en apportant une réelle réflexion autour de la mise en scène. Il fonde le théâtre libre de 1887 à 1894. C’est un genre nouveau, les comédiens jouent comme si aucun spectateur n’est présent. Ils vont jusqu’à jouer de dos. Contrairement au théâtre bourgeois « hermétique », son travail est très influencé par le naturalisme et il demandait aux comédiens de s’inspirer de la nature. Pour ce faire, il accordait une place importante à certains détails réalistes comme la présence de morceaux de viande au plateau. Ce mouvement va inspirer beaucoup de metteurs en scène en Europe.
– Le Grand Guignol (1867-1962)
Salle parisienne, spécialisée dans les pièces de théâtre mettant en scène des histoires macabres, il est souvent décrit comme étant l’ancêtre de l’horreur.
Courteline (1858-1929) est un auteur représentatif de ce théâtre, qui s’intéressait de manière sombre, aux tracasseries administratives de son temps. Il s’est fortement inspiré du courant naturaliste, mais qui au début du XXe siècle s’est confronté au réalisme des salles de cinéma.
– Théâtre d’art de Paul Fort (1872-1960).
Courant qui naît en opposition au Grand-Guignol, il dit ne rien avoir avec le théâtre. Ce courant du symbolisme, proche de la littérature, s’inspire du mouvement d’André Antoine. Nous pouvons citer Stéphane Mallarmé (1842-1898), homme de poésie qui inspire le théâtre ou encore Alfred Jary (1873-1907) reconnu pour sa pièce « Ubu Roi ».
– Le travail de la forme et la relation au public.
Tout d’abord, nous avons Gordon Craig (1872-1966) qui prône un théâtre autonome, qui peut se passer de l’auteur. Il considère le théâtre comme une construction d’éléments se pliant à une seule personne : le metteur en scène.
Ensuite, nous avons Adolphe Appia (1862-1928), pour lui le metteur en scène inscrit dans l’espace, ce que l’auteur écrit dans la durée. Il cherche à définir l’écriture de la mise en scène, il ouvre la recherche autour de la scène et de la salle.
Enfin, nous pouvons évoquer Jacques Copeau (1879-1949), il ouvre le théâtre vers l’université. Il se veut réformateur, il oriente son travail autour du texte. Il invite les illustrateurs pour les décors, il cherche constamment à multiplier les expériences, notamment en Province. Il est perçu comme un pionnier de la décentralisation.
Le théâtre naturalisme d’André Antoine, se transforme en réalisme genre théâtre de boulevard. Ce sont des pièces en trois actes, avec une psychologie bien observée, pour comprendre le comportement de personnage typique. Il s’agit de paraître naturel pour les comédiens. L’auteur doit réussir à faire des bons mots, une belle phrase qui peut être retenue comme étant un beau geste d’écriture.
– Cartel des quatre, Louis Jouvet, Charles Dullin, Gaston Baty, Georges Pitoëff.
De 1927 à 1939, création d’une association avec pour « ingénieur » Louis Jouvet. Cartel, qui se veut d’avant-garde, en proposition de nouvelles réflexions à l’instar, du théâtre de Boulevard et du courant dramatique. Pour Louis Jouvet, il faut subir une pièce et non pas juger cette dernière, le travail est au service du texte et ce Cartel cherche à faire émerger des auteurs et des pièces contemporaines, en pensant un théâtre nouveau.
Charles Dullin, livre sa préoccupation du public dans le théâtre : « Si Oedipe ne plait pas au public, c’est Oedipe qui a tort ».
Le public prend une place importante, car contrairement aux grandes familles de comédiens traditionnels, ce cartel est composé d’intellectuels émanant du public. Pour Gaston Baty, nommé « l’enlumineur », le texte est la partie essentielle du drame, il faut actualiser la relation texte et mise en scène. Georges Pitoëff, nommé « l’enlumineur » cherche à créer des illusions au plateau et lutte contre le théâtre réaliste et naturaliste.
– L’Émergence d’un théâtre nouveau.
La naissance et la diffusion du cinéma durant le XXe siècle, vont fortement influencer et changer la place du théâtre dans la société française.
On voit, depuis les années 1920, émerger le théâtre Dadaïste. Peu de représentations publiques. Ce courant se base sur la psychologie des personnages à travers leurs pulsions vitales. Surréaliste, se veut à contre-courant du théâtre traditionnel de boulevard et bourgeois.
– Œuvre d’Artaud :
Antonin Artaud (1896-1948), auteur et théoricien du théâtre, il se veut d’avant-garde dans sa perception du théâtre. Il fonde en 1926, le théâtre Alfred Jarry, où il cherche à mettre le spectateur dans une posture nouvelle :
« Le spectateur qui vient chez nous saura qu’il vient s’offrir à une opération véritable, où non seulement son esprit mais ses sens et sa chair sont en jeu. Si nous n’étions pas persuadés de l’atteindre le plus gravement possible, nous estimerions être inférieurs à notre tâche la plus absolue. Il doit être persuadé que nous sommes capables de le faire crier. »
Antonin Artaud.
Le théâtre doit se renouveler en cherchant de nouvelles formes, « au point d’usure ou notre sensibilité est parvenue, nous avons besoin d’un théâtre qui nous réveille, nerf et cœur. Il investit l’espace total du théâtre, plateau, murs, et cherche à appréhender les spectateurs dans son ensemble. Qu’est-ce qui va faire encore du vivant ? Préoccupation d’Artaud. Ces formes-là donnent lieu à des balais mécaniques, formes géométriques, avec des comédiens qui manipulaient le vivant.
– Constantin Stanislavski et Bertolt Brecht :
Stanislavski (1863-1938) : proche de la tendance réaliste, conçoit une méthode dans laquelle les comédiens de cinéma se forme et vont chercher le petit geste ce qui « fait vrai », le tic, le détail. Il tend à rendre le personnage le plus réaliste possible.
« Le théâtre n’a pas intérêt à imiter la vie », le comédien participer à un ensemble de signes, basé sur un travail d’acteurs avec une pensée autour de la biomécanique.
Bertolt Brecht (1898-1956) : il amène « l’effet V » c’est-à-dire la distanciation. Pour lui, il faut mettre à distance le personnage afin que le spectateur ne soit pas face à une représentation, à un miroir, mais face à une pensée. L’identification du spectateur au personnage n’est pas ce qu’il recherche. Le spectateur doit rentrer dans la problématique et réfléchir au monde. Il explose le cadre du théâtre, début de la projection au plateau. Il va éviter l’obscurité totale dans la salle pour que les gens puissent se voir et éviter l’illusion du réel. Tout est mis sur le plateau. Il travaille des costumes très réalistes avec une usure provoquée, artificielle pour les rendre réalistes.
Où se positionne le travail de la Compagnie Théâtre Inutile ?
« À travers cette synthèse, je voulais vous emmener au moment où la mise en scène est apparue. Je vous ai donné les soubassement. Aujourd’hui, le théâtre contemporain se nourrit encore de cette histoire-là, je n’ai pas dit grand-chose dans la où nous nous situions. Nous avons une source d’inspiration profonde chez Artaud, veine qui nous touche. J’ai parlé de Gordon Craig, acteur sur marionnette, il y a des touches chez les uns et les autres qui nous parlent. Intrinsèquement, notre théâtre veut parler du temps et du temps présent, et nous amener dans un moment de communion. Pour amener de la pensée au plus grand nombre et également aussi à des personnes qui n’ont pas tous les outils. (…) Ce travail précise ce que l’on manipule, pour que nous comprenions ensemble le plus proche de nos intentions. Notre problème aujourd’hui, est que notre espace de représentation est pris par les écrans. Le naturalisme s’est fait coincer par le cinéma. Même nous, on a été amené à utiliser des images, des vidéos. Il faut se poser la question du théâtre par rapport à ces espaces de représentations. »
Nicolas Saelens.
Pour terminer le séminaire, le public à interagit autour de l’évolution de la mise en scène.
Comme le précise le public, cette histoire apparaît importante, mais elle comporte aussi beaucoup d’éléments qui structurent également l’histoire du théâtre. Nous pouvons citer le théâtre populaire de Garcia Lorca, ou encore l’émergence du théâtre de rue…
Si cette histoire du théâtre ne peut pas refléter toutes les influences artistiques que cet art a connues au fur et à mesure dans l’histoire, ces quelques grands noms permettent d’appréhender l’évolution complexe, parfois antithétique des prédécesseurs et précurseurs, et permet de comprendre comment le théâtre d’aujourd’hui nous est parvenu.
Diffusion de « En Guise de Divertissement » de la Compagnie Théâtre Inutile :
La présentation de « En Guise de Divertissement » permet de présenter la complexité du processus artistique en lien avec les savoirs-faire de la Compagnie Théâtre Inutile.
Ce spectacle s’intéresse au traitement public des corps et au divertissement qu’il implique quand il s’agit de mettre en spectacle la souffrance humaine. La place du regard est capital dans cette représentation et renvoie à la notion de Zoos humains, en passant par les reality-shows, le bûcher des hérétiques et nous questionne sur la place du spectateur.
Après interaction avec le public, sur la création du spectacle de la compagnie, nous avons la démonstration qu’un réel public sélectionné s’est constitué pour cette première année, un public fidèle aux séminaires, aux laboratoires plateaux, et engagé dans les réunions entre-deux : le sentiment que l’engagement présent des artistes, des chercheurs, du public permet une continuation de la recherche.
« Moi je réponds que nous sommes tous en état épouvantable d’hypotension, nous n’avons pas un atome à perdre sans risquer d’en revenir immédiatement au squelette, alors que la vie est une incroyable prolifération, l’atome éclos en pond un autre, lequel en fait immédiatement éclater un autre. Le corps humain est un champ de guerre où il serait bon que nous revenions. C’est maintenant le néant, maintenant la mort, maintenant la putréfaction, maintenant la résurrection, attendre je ne sais pas quelle apocalypse au-delà, l’éclatement de quel au-delà pour se décider à reprendre les choses est une crapuleuse plaisanterie. C’est maintenant qu’il faut reprendre vie »
Antonin Artaud, 1946.
A.K