
Le laboratoire art et époque est piloté par La Compagnie Théâtre Inutile et Miguel Benasayag.
Labo de plateau – 28 mars 2014
Vendredi 28 mars 2014
Cette fois les choses sont énoncées clairement : nous sommes conviés à une expérience. Il n’y a pas de spectacle, même si on est dans un théâtre. On ne connait pas vraiment les règles du jeu de l’expérience, mais on sait que ça va construire puis déconstruire pour montrer les étapes, et qu’il n’y a pas de « message » ou de sens à proprement parler, il n’y a pas d’énigme à résoudre mais il est nécessaire que les participants disent ce qu’ils voient, interprètent, ressentent à travers cette expérience.
La première étape mélange la vidéo, la lumière, le son, avec les objets sur la scène et les comédiens. Les comédiens déambulent, bougent les objets (pieds de micro, éléments de costumes mi-rigides et mi-transparents représentant des manches (ou des bras), un pantalon (ou des jambes), un bustier (ou un buste)…), les mettent debout ou couchés, un vidéo projecteur sur la scène qui permet de jouer avec les ombres, en plus de projeter des vidéos sur les objets ou les corps. Le texte est dit par deux voix, parfois audibles, parfois non, des extraits sans sens apparents, quelques mots qui en ressortent … Puis, petit à petit les éléments sont retirés, le texte et ses lecteurs d’abord, la lumière ensuite, le son … Et le dernier tableau reprend les « phrases » de chaque comédiens isolément, les autres étant sur le plateau yeux fermés. On comprend alors le processus qui a conduit à mélanger petit à petit les éléments, en commençant, vraisemblablement par les comédiens sur impro, un par un, les autres étant sans doute conviés à enchainer l’impro sur la base de ce qu’il avait perçu des déplacements du précédent … on ne saura pas, la règle du jeu avec ses contraintes multiples (je suppose) ne sera pas dévoilée. Il y a des déplacements répétitifs, des gestes sans sens apparents. Parfois cela forme des images (telle Ludo enfermé dans sa cage de pieds de micro, ou André portant les jambes à bout de bras en équilibre, ou Eva torse nue en mode défilé ou encore frappant les rideaux). La répétition des mêmes gestes et déplacements à chaque étape avec des éléments de moins, ont fini par prendre sens pour moi, c’est-à-dire, à sortir du moment de découverte et du coup d’oubli immédiat, pour s’imprimer vraiment, me laissant le choix d’interpréter des images qu’au départ j’étais incapable d’interpréter car trop décousues, trop étranges, trop de choses à la fois sans grille de décryptage quelconque. Du coup, je pense à ces spectacles de danse sur la répétition, aux danses de transe aussi : à quel état on finit par accéder quand on reproduit toujours le même geste ou le même son, une forme de sortie de soi pour accéder à une forme de « tout ».
La discussion avec le public a montré que chacun était en mesure de projeter du sens sur ce magma sans sens. Des images renvoient à sa propre expérience, ou, pour ceux qui suivent le séminaire, au contenu de celui-ci : l’éclatement, la dispersion, le manque de sens, l’aléatoire, … Moi j’y ai vu la reproduction de l’expérience des robots dont parlait Miguel : qui avaient pour consigne de déplacer les bâtons qu’ils trouvaient sur leur chemin et qui s’est terminé par de la « coopération » entre les robots (non programmés pour ce faire) afin de mettre tous les bâtons au même endroit. J’ai décelé la coopération dans le geste de Ludo faisant filet de sécurité pour les jambes portées à bout de bras par André, ou encore André éclairant de son vidéo projecteur la déambulation d’Eva.
Je suis toujours surprise de la capacité des gens à parler de leur propres expérience juste après que celle-ci soit vécue, c’est une chance extraordinaire (moi il me faut un peu de temps, je suis un peu sonnée à l’issue !). « Pourquoi il n’y a pas d’émotion ? » « à quoi ça sert ? » »pourquoi on n’entend pas le texte » dira une dame qui débarque complétement. D’autres interprètent, dans le sens du séminaire (la dispersion) ou rattachés à leur propre expérience (Eva qui pour moi défile, ira faire une radio des poumons pour une autre dame), les éléments de costumes devenant des prothèses.
Miguel nous raconte que pile aujourd’hui, dans le Monde, est annoncée la réussite de la création de chromosomes de synthèse. Manipuler le vivant. Jusqu’où ? N’y-a-t-il que du hasard ? Pourquoi pile aujourd’hui au cours de ce labo qui tente de mettre en perspective, au plateau, avec les outils de l’art, cette question du vivant ? Qu’est-ce qui fait unité ? A quel mouvement participe-t-on, dans les sous-bassement, sans conscience et sans maîtrise ?
Il nous manquait quelques-uns des apprentis chercheurs (ceux qui suivent le labo et les réunions de l’entre-deux, et qui constituent le groupe de recherche), j’espère qu’il y aura des images sur le blog de cette expérience et du débat qui a suivi, de manière à ce qu’ils raccrochent les wagons. Et plein d’autres billets de tous ceux qui, comme moi, n’ont pu parler à l’issue de l’expérience … mais n’en pensent pas moins !
Agnès Houart
31/03/14