
Le laboratoire art et époque est piloté par La Compagnie Théâtre Inutile et Miguel Benasayag.
Séminaire – 9 mars 2015
Germain : « le robot se transforme en humain et dans quel but ? Pourquoi prendre la place de l’humain ? L’enjeu est-il de créer une nouvelle espèce avec des soumis et des dominants ? »
Miguel : « Je ne pense pas que l’on puisse adhérer à une croyance avec un dessein clair dans laquelle nous faisons des choses. Chaque époque produit des faits. Par rapport au grand dessein, ce qui se manifeste dans les projets d’hybridations transhumanistes sont les mêmes problématiques de toujours : accepter les limites et les explorer afin de développer de nouveaux territoires vers une toute-puissance (comme l’immortalité). »
- Continuation des hypothèses de recherche à partir du Mamotreto :
Inventer de nouvelles intelligences et vaincre la mort se manifestent sous la forme actuelle qu’est le libéralisme. L’irrationnel est très bien articulé avec le néo-libéralisme. Le plus dangereux ne sont pas les fanatismes ou les terroristes, le plus dangereux est l’articulation de la technologie avec la microfinance.
La problématique est la même depuis que l’humanité existe en tant que telle, à travers les trois révolutions : la langue, l’écriture, la digitalisation. Il y a des tentations notamment du côté de la langue de colonisé de faire disparaître les limites du biologique.
Le champ des mixtes : la langue, technologie, urbanisme fonctionnent de manière organique et déterminent des stratégies et des limites propres. Mixte car n’est pas autoptique, c’est à dire il ne peut pas se reproduire lui-même, il doit capturer du vivant et de l’humain.
Par exemple : une langue n’est pas simplement le fruit de l’espèce humaine, mais d’une complexité qui est territorialisée.
Dans le champ biologique, nous pouvons dire qu’il y a des méthodes ou techniques de communication très sophistiquées comme les systèmes immunitaires ou encore la communication chez les fourmis. Parmi certains animaux, il existe des formes de télépathie. Il y a une communication subtile et structurée.
- Quels sont les rapports du champ mixte de la langue avec le vivant comme écosystème ?
La langue en tant qu’organisme mixte produit des possibles, des choses qui lui sont possibles, mais qui ne sont pas compossibles.Avec la langue, nous pouvons imaginer un système de vie et développer des morales /idéologies qui obéissent toutes à un discours cohérent et possible, mais qui ne sont pas compossibles dans le rapport avec le vivant.
Exemple :
L’idée de déplacer des paysans du kolkhoze dans les pratiques de Staline. Lorsqu’il fait faire cela, il utilise des techniques linéaires. On produit et on circule de telle manière. Il détermine un champ des possibles qui n’est pas compossible à la vie.
Le champ biologique, le champ de la vie, représente des possibles avec des fonctionnements, des liens subtils et propres au vivant qui ne sont pas compossibles avec les modes de fonctionnement des mixtes. Il faut regarder les modes de fonctionnement dans la ville, l’urbanisme. Ce qui pollue et détruit l’environnement ne correspond pas avec les possibles de la vie.
Dans la langue, l’écriture et la digitalisation, on a du mal à exposer les possibles. Il est complexe de faire un modèle digital dans lequel les modes d’existant du vivant apparaissent dans leur complexité. En permanence, les champs biologiques déterminent des possibles qui ne sont pas dénonçables, des choses ne peuvent pas être dites.
- La place de l’art comme une production de forme propre à une époque donnée :
La barrière des deux champs « mixte » et « biologique » se situe dans la pratique artistique et témoigne de ce qui n’est pas dicible. L’écriture peut exprimer le non exprimable. Dans la poésie, je peux écrire et l’écrit en question peut aussi exprimer une puissance qui n’est pas possible d’écrire. La digitalisation n’accepte pas le non-modélisable autrement que comme un bruit dans le système.
Tandis que la langue a quelques milliards d’années, l’écriture a 5000 ans. Le champ biologique a colonisé la langue et l’écriture même si cela reste une conflictualité permanente.
« Les projets du monde des robots et de la digitalisation est de dire que la vie, ce que l’on appelle la vie, est un tout modélisable, un tout reproductible, améliorable. C’est le projet majoritaire de la techno science. Le vivant doit être remplacé par la machine. Chez les chercheurs transhumanistes, il nomme cela comme l’émergence d’une singularité. Nous serions la veille du moment où va s’opérer un moment de bascule où le vivant sera un bruit colonisé par les nouveaux modes de vie. » Miguel Benasayag.
Notre époque est caractérisée par l’évolution sans précèdent de la macro-économie et des nouvelles technologies. La promesse de l’immortalité, longtemps perçue comme appartenant au domaine religieux, renoue dans notre époque avec les technologies. Cette conception utopique de l’immortalité n’apparaît plus comme une abstraction. Mais bien comme une réalité prônée dans le désir post-moderne de transcendance. La délégation de l’homme par les fonctions d’une machine se traduit par une volonté de transcender les corps pour vaincre la mort. C’est une promesse idéologique nouvelle que nous rencontrons dans les évolutions et la promotion des nouvelles technologies.
- La fatigue d’être soi et la promesse de la technoscience :
Jean Michel Besnier, présent pour la présentation publique du laboratoire artistique le 25 mars à la Maison de la culture s’interroge sur la crise de la Culture. Il y a une fatigue d’être soi dans notre époque, les corps sont l’ours et fragiles. Il y a un échec de la modernité qui se manifeste par cette lourdeur, une forme de tristesse qui rencontre cette nouvelle promesse de la techno science.
Pour Miguel Benasayag, le plus inquiétant est que l’on soit peu curieux sur ce sujet, comme si les préoccupations des gens sont en permanence des questionnements propre au quotidien individuel.
« Tout se passe comme si dans un bocal où les souris se battent pour le fromage, ils ne rendent pas compte qu’un renversement va avoir lieu sur leur conflit. » Miguel Benasayag.
- À propos du travail de Michel Foucault :
Michel Foucault n’évoque pas la postmodernité, mais il explique que les promesses de l’activité humaine avec la rencontre des nouvelles technologies vont réaliser les promesses propres aux croyances individuelles. On ne situe plus la croyance dans un mythe religieux, mais technologique. Quand il décrit le pouvoir comme quelque chose qui n’est pas seulement d’en haut avec une microphysique du pouvoir, il décrit une forme d’existant. Il va expliquer que l’illusion du pouvoir se libère du pouvoir, personne ne peut s’en libérer, car les gens participent au pouvoir.
Par rapport au biopouvoir, il écrit comment les champs du vivant vont être disloqués et comment le corps humain n’est plus considéré comme une unité. Le pouvoir va s’occuper de comment on doit vivre et comment utiliser son corps et le percevoir. Quand il explique que les normes ne sont pas quelque chose de l’extérieur, mais que les normes forment l’objet normé, rapport entre pouvoir et savoir, le pouvoir produit le savoir qui lui correspond. Il n’y a pas une conclusion dans laquelle il faut se libérer.
Le pouvoir s’occupe de la vie, la vie devient résistance. Cette résistance à pas entendre dans le sens de Jean Moulin, mais comme le mode de vie imposé aux citadins provoque des cancers. Cette résistance n’est pas consciente. Le pouvoir, en s’occupant de la vie, ne respecte pas les possibles du vivant. De fait, la vie devient résistance, car les volontés du pouvoir ne s’imposent pas totalement comme norme de vie.
- Le schéma des îles de Deleuze : « les hommes sont comme des îles dans la mer. Mais les îles sont des plis de la mer ».
« Deleuze dit : les hommes sont des îles dans la mer. Chaque triangle représente un être humain qui se demande comment rentrer en contact avec l’autre. Il dit les hommes qui vivent comme des îles dans la mer, tant ils vivent comme séparé. Ils se réunissent en tant que séparé, pour des intérêts, pour jouir, par peur…, en tant que séparé. Car on garde l’expérience que je suis seul et l’autre reste pour moi un mystère fermé. La seule façon de sortir de moi c’est quelque chose qui me regarderait moi (hybridation / loi divine). » Miguel Benasayag.
- Le moi : niveau de l’identité conscient de l’individu.
Le fait d’avoir conscience d’être un homme, une femme, de son âge, de sa couleur de peau, etc. Ce sont des déterminations conscientes. C’est le niveau dans lequel je construis une image consciente de l’aperception.
- Le corps : niveau de l’aperception.
Phénomène de soi et de non-soi. Ce sont les liens entre les différents phénomènes : homme-animaux / homme-soleil. Le corps va construire, avec ces soubassements qui le touchent, des images aperceptives.
En effet, prendre l’exemple du soleil est caractéristique. L’homme conçoit le soleil en fonction de sa culture. Il apparaît comme une forme logique et partagée communément dans l’espèce humaine. Cependant, un animal a une perception du soleil qui ne peut être compris par l’homme. Le soleil est une forme commune qui apparaît différemment à chaque espèce, c’est une question de différence de perception de la réalité : c’est l’aperception émergente d’un soi et d’un non-soi.
Par exemple, l’homme aperçoit la vague, mais le mollusque l’appréhende à sa manière, et certainement de manière différente à celle de l’homme.
- Soubassements communs : la perception.
C’est la perception chimique façonnée par la culture. Le niveau de la perception est à ce niveau un « je ne suis pas » ce qui me compose, mais « je suis » ce qui interagit ensemble.
- La place de l’homme : Qu’est-ce que la vague dans la mer ?
Mon corps perçoit la vague, mais il est plus exact de dire que mon corps participe à la vague avec laquelle les molécules du corps sont en contact avec les molécules de la mer. Mon corps participe à des échanges moléculaires.
Dans le cas de l’homme dans les soubassements communs, il y a la notion de culture qui est fondamentalement importante. C’est à travers le prisme de la culture et de notre perception que nous formatons notre regard sur le biologique.
Quatre temps de la conscience du vivant :
- 1) nous vivons au niveau des soubassements.
- 2) notre corps travaille en lien avec le vivant au niveau de l’aperception.
- 3) nous en avons conscience au niveau de la perception
- 4) il y a cette émergence de la conscience réflexive qu’est la pensée de la pensée « je me rends compte de ce que je pense ».
Actuellement, il n’y a presque aucune conscience réflexive chez les animaux contrairement à l’homme. La conscience réflexive est surtout langagière. Elle arrive dans un quatrième temps donc elle est toujours en retard. Lorsque je pense à ce que je fais, cela est déjà passé depuis un moment.
D’un point de vue scientifique, il existe des neurones appelés communément des « neurones-retard » qui s’arrangent pour faire croire que l’instantané de ce que l’on perçoit est dans le temps présent. L’exemple de l’image et du son permet de se demander : comment est-ce que l’on aperçoit ensemble si la lumière arrive plus vite que le son ? Il y a des neurones retard qui retiennent l’image.
- La perception du vivant :
C’est une croyance, un rapport au monde corporel. La croyance représente les trois temps des îles. Les comportements propres sont à 80% déterminés par l’espèce et 20% par l’expérience individuelle. Les croyances regardent ces contenus qui fondent les comportements propres de chaque espèce.
Une croyance animale veut dire que le rapport au monde physique de la longue évolution de l’espèce, face à un fait, va réagir avec nos croyances et non pas aux réactions aux faits. Les croyances ne sont pas de simples énoncés. Plus encore, les faits sont dérivés des croyances. : Je le nomme fait selon nos croyances.
- « Les faits ne pénètrent jamais le monde où vivent nos croyances» Marcel Proust.
Anne : « les faits sont la réalité ? »
Miguel : « Les faits font partie d’une réalité. Les faits sont toujours pour une espèce donnée, un découpage du commun qui a du sens pour cette espèce-là ou cette théorie-là. Dans le découpage de la théorie, c’est un fait pour un organisme. Un fait est toujours un découpage d’un ensemble autre. »
Les faits comme la langue et l’écriture définis comme des faits ne pénètrent jamais le monde de la croyance. Ce que l’on appelle croyance est la manifestation du rapport au monde de chaque espèce. Toute espèce construit une croyance. C’est un ensemble de détermination, de croyance qui constitue le rapport corporel au monde.
L’incohérence des faits renforce la croyance :
La manifestation langagière de la croyance apparaît ordonnée dans une logique écrite et obéit à des règles de la linguistique. La croyance et sa manifestation expriment de façon toujours défectueuse, incomplète, l’incarnation corporelle de la croyance.
Chez l’humain, la croyance à une manifestation langagière, les incohérences n’ont aucune importance dans le récit de la croyance. Les incohérences renforcent la croyance, car ils font comprendre aux croyants qu’il ne s’agit pas de fait, mais bien autre chose. Plus on démontre à un croyant que sa foi le trompe, plus on va renforcer sa foi. Tous les faits opposés sont à un niveau territorialisés.
Il y a des croyances profondes, résidus de croyances ou encore individuelles ou familiales. Quand on dit à quelqu’un que son couple ne convient pas, c’est courant, la personne exhibe les horreurs de son couple. Cela eprésente un acte de croyance, car la personne va être fidèle à sa croyance. Au jugement des faits, la croyance est renforcée.
L’individualisme et la performance propre à notre époque :
Le fait d’avoir conscience d’être soi est proche de l’idée d’être un soi performant. La postmodernité cherche la construction d’individus dépourvue de toute croyance de l’espèce afin de promouvoir l’émergence des nouvelles technologies.
L’exemple du Tournesol :
Le tournesol suit le soleil, une plantation en suivant le soleil peut être en danger. Entre la survie et l’ancrage, le tournesol va continuer à suivre la source de lumière du soleil. Cette profonde appartenance de l’enracinement d’un tout vivant du socle commun fait que l’on ne peut jamais dire pourquoi le tournesol tourne vers le soleil. En tant qu’homme, comment expliquer le tropisme de l’humanité des faits migratoires ? Ou encore la sédentarisation permanente d’une population ?
Le post-modernisme invite l’homme à se transcender notamment par la propagation des technologies comme les nouveaux moyens de communication. L’idée selon laquelle nos corps peuvent vaincre ses propres limites ne prend pas en considération le corps et son aspect territorialisé comme faisant partie d’un tout biologique. Le corps sans organe d’Artaud montre bien cette réflexion éclatée du corps. L’artefactualisation du corps est une tentative de déraciner l’homme et le végétal.
- Vidéo des termites : la simplicité de programmation face à la complexié du vivant.
Cette vidéo qui met en scène des termites robotisés, programmés sur quelques fonctions simples, construits ensembles une pyramide.
Cette vidéo montre en quoi il est impressionnant de pouvoir programmer des termites à travers différentes actions. Cette vidéo montre des termites comme des êtres simples dépourvus de toute complexité. Cependant, cette vidéo nie absolument la complexité de la termite ou encore des fourmis.
Ces robots ont trois ou quatre programmations ; avancer, reculer, droite, gauche, prendre une brique et dès qu’il descend une marche déposer la brique. Il a un algorithme simple. En appliquant cet algorithme simple, ces robots finissent par construire une pyramide. Le commentaire est de dire que nous avons dévoilé les mystères des pyramides.
Cependant, il est fondamental de préciser ici que huit ou neuf civilisations, sans contact entre elles, dans le temps ou l’espace, à un moment donné, ont construit des pyramides. Pour cela, il fallait un soubassement profond dans le temps et dans l’espace.
Pourquoi est-ce que d’autres civilisations n’ont jamais construit d’autres pyramides ?
- Vidéo curiosité, l’apprentissage des robots en interaction avec les humains de Pierre-Yves Oudeyer, cliquez ICI.
Les robots sont programmés dans cette vidéo pour éveiller leurs curiosités. Les différentes interactions, entre les robots leur permettent d’émettre des sons. Ces sons se transmettent et démontre la possibilité pour ces robots d’apprendre ensemble une langue commune. Cependant, cette vidéo démontre bien la démonstration de la robotique. L’interaction de quelques robots programmés, échangeant quelques sons, ne peut pas prouver l’émergence d’une langue. Nous assistons ici à un refus de la complexité.
« Cet effort, idéologiquement, montre que toute complexité émerge d’éléments simples. Un robot peut tout à coup, en interaction avec un autre objet, émettre un son, capturé par son voisin robot. Cela n’a rien à voir avec une langue. Une langue par excellence, n’est pas produite par les individus car c’est une combinaison qui capture les individus. » Miguel Benasayag.
A.K